Les types de relations au coeur des communautés fortes
Elle fit un drôle de bruit avec ses lèvres, marquant son exaspération.
« Ça ne marche pas, notre affaire. »
Hannah Busing - Unsplash
Gestionnaire de communauté d’un groupe de pratique qui ne levait pas, elle m’avait proposé de décanter le temps d’un verre de sangria sur une terrasse occupée. Depuis plus d’un an, elle bâtissait sa communauté à coup d’invitations, d’articles, de billets de blogue. Mais force d’admettre, sur sa plateforme numérique, c’était le désert. Personne ne se parlait.
« Comment on fait pour allumer les échanges dans une communauté ? »
Pendant longtemps je me suis posé la même question. Qu’est-ce qui fait que dans certaines communautés, les échanges et les discussions sont riches et tout le monde semble sincèrement s’apprécier, alors que dans d’autres c’est soit plus tranquille que le centre-ville de Montréal en pleine pandémie, soit aussi toxique que la poubelle de maquillage expiré de Rita Baga ?
Pour trouver la réponse, j’ai d’abord été à la source. J’ai voulu comprendre comment les humains développent des relations dans des groupes, et ce, avant même de me pencher sur les fonctions et diverses plateformes numériques qui facilitent par la suite ces interactions.
La science n’a peut-être pas toutes les réponses (badaching), mais elle offre certainement d’excellentes théories.
En sociologie et en micro-économie, on utilise notamment la théorie du capital social (Lin, 2001) pour définir les liens et les relations établies entre différentes personnes à travers leurs différents groupes sociaux (famille, amis, connaissances, collègues, voisins, etc.), notamment les relations qui améliorent nos conditions mutuelles (ahem *groupes de pratiques*).
Trois types de relations
FUSION (BONDING) Les relations de type fusion misent davantage sur l’intimité, la proximité et la fréquence des interactions entre deux membres. Pensez à la relation entre une coach et sa cliente.
PONT (BRIDGING) Les relations de type pont ont lieu lorsqu’une personne est présentée à une deuxième personne par un intermédiaire, soit une troisième personne ou une plateforme. Autrement dit, quand on présente un ancien collègue à notre patronne, on agit comme un pont entre les deux.
LIAISON (LINKING) Les relations de type liaison ont lieu lorsque deux personnes de groupes socio-économiques différents interagissent ensemble. On peut penser à du mentorat entre junior et senior, ou lorsqu’une vice-présidente recommande une directrice pour une promotion dans son entreprise, ou encore lorsqu’un joueur de hockey organise un club dans une ville où le hockey est inaccessible.
Lorsqu’une personne responsable d’une communauté facilite la création de différents types de relations entre les membres de sa communauté en offrant le temps et l’espace pour ceux-ci à travers ses initiatives, elle contribue activement à l’augmentation du capital social du groupe. Le plus de capital social les membres d’un groupe accumule, le plus d’impact nous pouvons avoir directement sur leur condition mutuelle, autant psychologique, économique que professionnel; la liste des bénéfices du capital social est longue. Le plus de gens qui investissent dans leurs communautés, le plus que la condition du groupe s’améliore, le plus de retombées générées.
Dans son livre The Whuffie Factor, l’auteure et sociologue Tara Hunt parle notamment de stratégies pour accumuler du capital social en utilisant les communications numériques. Pour illustrer, elle identifie la monnaie courante du capital social, le whuffie, tel qu’introduit par Cory Doctorow dans son roman de science fiction Down and Out in the Magic Kingdom. Notre capital social - ou whuffie - s’accumule et se perd selon les différentes interactions et relations qu’une personne peut avoir dans ses différentes communautés et avec leurs individus. Par exemple, si on investit beaucoup de temps et d’effort à faire grandir nos réseaux d’affaires en organisant des rencontres où on présente un de nos groupes d’amis à l’autre, ou qu’on fait du mentorat avec les nouveaux employés dans notre entreprise, notre whuffie, augmente. Si on diminue par contre notre présence sur les réseaux sociaux, notre whuffie baisse. On participe à un brainstorm collectif sur Zoom pour améliorer la qualité de l’air dans l’école de nos enfants? Ça augmente. Autrement dit, notre capital social augmente à coup d’énergie relationnelle investit dans nos communautés.
« Comme toi et moi. On s’était rencontrés pendant une session de braindating sur les communautés à C2 Montréal il y a quelques années, et nous voilà aujourd’hui dans une relation d’affaires. Un superbe exemple de pont mis en action pendant un événement d’industrie en utilisant une technologie hybride, soit virtuelle et réelle. »
« Donc tu dis que si je veux que ma communauté soit saine et interagisse plus ensemble, je dois créer des opportunités pour fusionner des membres ensemble, faire le pont entre différents membres, et lier les membres les uns aux autres. Pas de me stresser autant sur notre plan de contenu et nos publicités Facebook. »
« Exacte. Les deux autres sont des tactiques de marketing. »
« Ah…, bien oui. Pourquoi ça me semble si simple? »
« Parce que t’es simplement brillante? »
« Comique. Okay, disons que je voudrais augmenter le sentiment d’appartenance à la communauté, je fais quoi ? », elle me demande, ses yeux pétillants d’excitation.
Alors que sa tête bourdonnait de nouvelles opportunités et questions, notre pichet de sangria, lui, était vide. Cette discussion serait pour une autre fois.